Les monstres du Musée Dupuytren

Charles-Joseph Panckoucke me confiait sa mélancolie ces dernières semaines. Il est en effet, comme beaucoup de compatriotes, sujet au fameux coup de blues de l’hiver. Son époque lui manque. Fin du XVIIIème siècle : les scientifiques et les intellectuels occupent de plus en plus le paysage social français. Les cabinets de curiosités fleurissent à Paris. Collections minéralogiques, taxidermiques, club de magnétisme, l’humanité est alors guidée par une certaine idée du progrès scientifique. Malheureusement pour lui, l’ami Panckoucke n’a pas vu de son vivant le grand bond du XIXème siècle.

Pour le réconforter un petit peu, nous sommes allés au Musée Dupuytren (prononcez « train »), du nom de l’anatomiste français qui lui fut vaguement contemporain. A cheval entre un cabinet de curiosité de la fin du XVIIIème siècle et une nouvelle conception de la médecine propre au XIXème siècle, ce musée créé en 1835 peut être désigné comme un musée de la lésion, ou de la pathologie anatomique, mais plus généralement un musée de la difformité. Car il est uniquement question de la maladie qui se voit.

Autant dire qu’il vaut mieux avoir l’estomac solide et prendre un peu de recul avant d’entrer dans le musée Dupuytren. Une fois votre courage pris à deux mains (atrophiées), rendez-vous au Campus des Cordeliers qui se situe au 15, rue de l’école de médecine. A l’intérieur, suivez simplement le chemin que vous indique la statue pour trouver le musée.

Le musée Dupuytren répertorie plusieurs types de pièces. Des squelettes, des moulages de cire ou encore des échantillons conservés dans des bocaux. L’ensemble présentant généralement d’immondes excroissances et des malformations invraisemblables à tous les endroits imaginables du corps. L’entrée en matière se fait avec quelques squelettes atteints de rachitisme (insuffisance osseuse qui peut aboutir à une réelle torsion des os), de syphilis ou d’hydrocéphalie (gonflement du crâne dû à une rétention d’eau). On est confronté d’emblée à une monstruosité qui faisait partie du paysage au XIXème.

N’hésitez pas à demander les explications du très avenant (et bavard) conservateur adjoint du musée. Il vous expliquera par exemple que les connaissances liées aux vitamines ont fait disparaître des maladies comme le rachitisme ou encore que les antibiotiques soignent très facilement la syphilis. Ce qui aura le mérite de nous rassurer. Si vous êtes une mère en devenir, je ne vous conseille pas vraiment la visite car un rayonnage entier est consacré aux malformations fœtales. Des malformations souvent mortelles, comme l’anencéphalie (absence de cerveau), aujourd’hui repérées très tôt par échographie et qui conduisent généralement à un avortement. On sent d’ailleurs une petite fixation autour des thèmes qui touchent à la natalité et à la génitalité.

Car après les fœtus difformes, c’est une série de moulages de sexes qui nous est présentée. Hermaphrodites, testicules atrophiés, clitoris surdéveloppé ou encore absence de vagin, il y en a vraiment pour tous les goûts. « C’est qu’à cette époque, me murmure Panckoucke, on pensait que la science allait expliquer Dieu, et les mystères de la vie plus généralement. Ce qui touchait aux ambiguïtés génitales et aux difformités de naissance fascinait donc les scientifiques. »

Curieux mélange donc que ce musée. A mi-chemin entre spectaculaire et science. On sent une volonté intense de répertorier et classer les pathologies ainsi qu’une grande fascination pour la monstruosité. Panckoucke me rappelle qu’avant la médecine expérimentale, le savoir médical prenait ses racines dans l’Antiquité (Hippocrate) et reposait sur des concepts archaïques d’« humeurs » et de « fièvres ». C’était donc un réel travail de pionnier. Quoi qu’il en soit, à 3 euros l’entrée étudiante (5 euros pour le commun des mortels), c’est sans doute l’endroit idéal pour assouvir sa curiosité malsainomorbide. Surtout si le musée de l’école vétérinaire vous avait déjà intéressé.

Infos pratiques : Ouvert du lundi au vendredi, de 14h à 17h. Tarif étudiant : 3 euros. Tarif normal : 5 euros. Prévoir l’appoint.

Le lien bonus de Panckoucke : La page officielle du musée pour en apprendre plus sur son histoire. Clic !

L’excuse de Panckoucke : Les photos étant interdites à l’intérieur, veuillez-nous excuser pour la qualité des images prises en douce.

2 commentaires

  1. On écrit Hippocrate!

  2. Erreur corrigée, avec mes excuses à Hippocrate et un merci à Pierre.


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